Le problème de la place et de la nature de l’ésotérisme se pose aujourd’hui dans des termes voisons de ceux qui avaient présidé à sa constitution. Le passage annoncé à une société « postmoderne » n’a que peu modifié le champ. Le vague de l’expression rend compte plus des changements de contours dans l’horizon spirituel précédent qu’il ne remet en cause ses structures. Si l’homme en quête d’absolu, l’homme de désir, selon l’expression de Louis-Claude de Saint-Martin, pense voir les choses de plus haut, il le fait perché sur les épaules du XIXème siècle. Autrement dit, c’est à l’aide de techniques, malgré la sécularisation du siècle dernier, que les ésotéristes argumentent aujourd’hui. Par exemple, les théories des astrophysiciens sur le big bang originel ont redonné vie à d’anciennes querelles ésotériques sur sa fin : la « délégitimation » scientifique de cette théorie qui avait séduit Pie XII en son temps n’a pas mis fin aux débats.
La pensée ésotérique se veut coopérative, ouvrant la voie à une sorte de transfiguration, une transmutation du pratiquant par et avec sa pratique qui donne accès à l’universel, à l’absolu. Pourtant, l’homo esotericus et sa méthode sont tout à la fois hors du temps et produits de l’histoire. « Les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leur père », dit un proverbe arabe, d’où la nécessité pour chacun, individuellement et collectivement, de vivre son expérience dans son propre paysage intellectuel et spirituel mais chargé du bagage des connaissances acquises par les générations passées parce que nous ne pouvons refaire la somme des expériences de ceux qui nous ont précédés. Ainsi, la tradition rapporte, parfois de façon vague, ce qui ne peut échapper à nos seules forces ici et maintenant. Les éléments constitutifs de la pensée ésotériques ne peuvent donc être mis en œuvre que dans la continuité de leur développement historique, inséparables de l’histoire religieuse de l’Occident mais aussi cette conception de la raison critique qui a travaillé à élaborer des sciences plusieurs fois millénaires.
Cette évolution matérielle, qui se poursuit désormais depuis des siècles et s’accélère toujours plus, s’est accompagnée d’une régression intellectuelle qu’elle est incapable de compenser. Ainsi c’est la perte ou l’oubli du véritable intellectualisme qui a rendu possible les deux erreurs qui ne s’opposent qu’en apparence, mais qui sont en réalité corrélatives et complémentaires : rationalisme et sentimentalisme.
Tiré de « Le regard ésotérique » écrit par Jean-Pierre Laurant, aux éditions Bayard.
Tiré de « Le symbolisme ésotérique » écrit par M. Centini aux éditions De Vecchi.